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mercredi 16 mars 2011

"Le diable c'est l'ennui (Propos sur le théâtre)" de Peter Brook (1991)

… pour que quelque chose de qualité puisse advenir, il faut d'abord qu'un espace vide se crée. Un espace vide permet à un nouveau phénomène de prendre vie.

… mais dès que l'on se trouve sur le tapis, il y a l'obligation d'voir une intention claire, je dirais plus, d'être dans une vie intense. Cela est beaucoup plus facile quand il y a un public.

…"une personne traverse un espace et rencontre une autre personne sous le regard d'une troisième"…

Chez nous, les seules personnes qui, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, ont le corps aussi développé que les Africains, ce sont les chefs d'orchestre.

… ce qui n'est pas donné et doit être acquis par des exercices, c'est la même sensibilité dans le reste du corps : les jambes, le dos, le cul… Sensible veut dire que l'acteur est  chaque instant en contact avec tout le corps. Quand il se lance, il sait où se trouve son corps.

Pourquoi prépare-t-on des choses ? Presque toujours pour lutter contre la peur du vide.

… si on ne cherche pas la sécurité, mais la créativité, la sincérité réelle peut apparaître.

… un artiste véritable est prêt à de nombreux sacrifices pour arriver à un moment de créativité. L'artiste médiocre préfèrera ne pas prendre de risques, c'est pourquoi il sera conventionnel.

L'acteur conventionnel "boucle", et "boucler" est un acte de défense. Pour me défendre, "je construis".

Le chemin créatif est de faire une multitude de constructions provisoires en sachant que même si on a l'impression d'avoir trouvé le personnage un jour, cela n'est que temporaire (…) La vraie forme (…) est une naissance. la vraie forme n'est pas comme la construction d'un bâtiment, la suite d'une série d'actions constructives et logiques. Au contraire, le vrai processus de construction est en même temps une sorte de démolition.

Il en va de même pour le metteur en scène. Il existe une très grande tentation pour le metteur en scène de préparer sa mise en scène avant la première répétition (…) Cela ne m'empêche pas de le faire car c'est une bonne préparation, mais si je demande à des acteurs d'appliquer le croquis que j'ai réalisé trois mois ou trois jours avant la répétition, je me coupe de tout ce qui peut-être vivant et apparaître au moment même de la répétition. Il faut à la fois faire cette préparation et l'abandonner.


Pour moi, c'est la grande différence entre le théâtre, dans sa forme essentielle, et le cinéma. Le cinéma, c'est toujours, à cause de la photo, une personne dans un contexte et jamais une personne sortie de son contexte. Il y a bien eu des tentatives pour réaliser des films dans des décors abstraits, sans décor, sur fond blanc, mais à part la Jeanne d'Arc réalisée par Dreyer, ce ne fut jamais réussi. Si l'on observe les milliers de grands films qui ont été tournés, on constate que la force du cinéma c'est la photo, et la photo, c'est "une personne quelque part". En ce sens le cinéma ne peut être que social, il ne peut ignorer une seconde le contexte social dans lequel il se trouve (…) Au théâtre, l'imagination remplit le vide alors que l'écran de cinéma représente un tout, lié de manière organique et cohérente.


Ils ont une écoute à la fois tournée vers l'intérieur et vers l'extérieur, comme cela devrait être chez chaque véritable acteur.


Même si le texte est écrit pour être prononcé avec force, nous devons commencer à répéter dans la plus grande intimité, afin de ne pas gaspiller l'énergie. Il faut être suffisamment libre pour sentir la relation, improviser avec d'autres mots, d'autres mouvements.


"Si je m'ennuie, c'est qu'il y a une raison". Alors, par désespoir, je cherche cette raison. Je donne une idée à l'autre personne, ou au contraire je la secoue, je me secoue moi-même… Dès qu'apparaît en moi l'ennui, c'est un clignotant rouge.


Certains prétendent qu'"il faut jouer la pièce telle que Shakespeare l'a écrite". C'est une absurdité totale ! Personne ne sait quelle est la forme scénique qu'il avait en tête. Tout ce qu'on sait qu'il a écrit une chaîne de mots qui ont cette possibilité de donner naissance à des formes sans cesse renouvelées. il n'y a pas de limite aux formes virtuelles qui sont dans un grand texte. Un texte médiocre ne peut donner naissance qu'à quelques formes, alors qu'un grand texte, un grand morceau de musique, une grande partition d'opéra sont de véritables nœuds d'énergie. Comme l'électricité, comme toutes les sources d'énergie, l'énergie elle-même n'a pas de forme, elle a une direction, une puissance.


Or, il faut se rendre compte que cette forme peut être précisément l'obstacle absolu à la vie, qui n'a pas de forme.


Le principe du "sponsor" est une chose tragique qui entre dans notre monde. le seul intérêt d'un sponsor pour un évènement théâtral c'est de pouvoir faire venir ses clients et leurs femmes. Il faut donc que le spectacle soit conforme à l'idée qu'ils se font de la culture : que ce soit beau, joli et ennuyeux.


Toute impulsion humaine vers ce que nous apellons, de manière floue et maladroite, la qualité, vient d'une source dont nous ignorons la nature, le sens même, mais que nous sommes tous parfaitement capables de reconnaître quand elle se manifeste en nous-mêmes ou chez une autre personne. Cela ne se communique pas par le bruit mais à travers le silence. C'est ce que l'on appelle, puisqu'il faut bien utiliser des mots, "sacré".


En donnant un possibilité de vivre, de s'exprimer, de bouger autrement que dans la vie quotidienne, on est tout de suite dans la joie mais si, très rapidement, on ne propose pas un défi, l'expérience tourne en rond. J'ai fait ce constat pour toutes les formes d'improvisations.


Essayez maintenant de vous désigner de un à quinze, mais sans tenir compte de votre place. Celui qui veut commence. Il faut aller de un à quinze sans que deux personnes parlent en même temps.


Jean Renoir disait à une comédienne : "J'ai appris de Michel Simon - ce qui était aussi la méthode de Jouvet et certainement celle de Molière et de Shakespeare - à savoir qu'il faut essayer de comprendre votre personnage sans avoir aucune idée préconçue. Il faut répéter le texte de nombreuses fois, d'une manière complètement neutre, jusqu'à qu'il entre vous, que la compréhension devienne totalement personnelle est organique."


Il est très important, pour aborder une scène, de se lever et de jouer, d'être debout et de jouer en improvisant, en découvrant le texte 'une manière dynamique et active.


Personnellement, j'aime lier dans la même journée des choses apparemment contradictoires ; d'abord des exercices de préparation qu'il faut faire chaque jour comme on entretient son jardin ; ensuite un travail autour de la pièce, sans idée préalable, en se jetant à l'eau; enfin une troisième phase, l'analyse rationnelle, la clarification de ce que l'on vient de faire.


… le grand art du grand écrivain est de trouver, par des moyens très subtiles, une manière très ramassée de dire les choses. "Nous sommes de cette étoffe dont les rêves sont faits. Notre petite vie est entourée par un sommeil."

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